jeudi 5 août 2010

La question prioritaire de constitutionnalité et la garde à vue

Le jour où vous serez en garde à vue, vous n'aurez plus à contester la constitutionnalité de cette mesure: d'autres l'auront fait avant pour vous...

Petit historique: la question prioritaire de constitutionnalité a été introduite dans notre Constitution lors de la réforme de juillet 2008. Elle permet à tout citoyen, à l'occasion d'un litige devant un juge, de contester une loi utilisée contre lui, au motif qu'elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par notre Constitution.

Elle est effectivement applicable depuis février dernier, et même bien appliquée puisque le Conseil Constitutionnel s'est prononcé près de 20 fois depuis le début de l'année et qu'une bonne centaine de textes sont soumis ou vont l'être prochainement à la censure des sages.

C'est une goutte d'eau dans la mer, vu le nombre hallucinant de lois qui régissent notre république (et c'est pas fini, ce nombre augmente de façon exponentielle et délirante), mais ces chiffres illustrent quand même la vivacité d'un dispositif tout beau tout neuf. Et de toute façon, heureusement, toutes nos lois ne sont pas inconstitutionnelles, loin de là.

La garde à vue - c'est un peu aussi le sujet de cet article - a fait justement l'objet de questions prioritaires posées lors de multiples actions pénales cette année. Ces questions ont été jointes pour que le Conseil statue par une seule décision.

Je rappelle qu'une personne est mise en garde à vue par la seule volonté d'un officier de la police judiciaire, sans décision préalable ni d'un juge, ni d'un procureur, en clair sans décision de l'autorité judiciaire.

Entre parenthèses, le Conseil affirme que cette autorité comprend les magistrats du siège et du parquet (dont le procureur). L'argument contraire reposant sur le fait que ce dernier ne serait pas indépendant du pouvoir exécutif a été soulevé devant les sages, qui ont clairement émis une fin de non-recevoir: le ministère public est bel et bien partie intégrante de l'autorité judiciaire.

Donc, c'est un officier de la police judiciaire qui décide seul de placer en garde à vue. Or, le Conseil cite notre Constitution par laquelle « nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

CQFD, la garde à vue est anticonstitutionnelle ?

Et bien non, mes cocos ce serait trop simple, ce n'est pas du tout sur le fondement de ce principe de droit que le Conseil a déclaré la garde à vue contraire à la Constitution! (je vous ai eu, hein ?)

Il reconnaît en effet qu'il faut concilier de façon équilibrée d'une part la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infraction et d'autre part l'exercice des libertés constitutionnelles.

Il rappelle aussi que le procureur est informé de la garde à vue dès son commencement et qu'il peut intervenir à tout moment.

Le principe de la garde à vue sur décision du seul officier de police judiciaire est donc reconnu comme légitime et parfaitement constitutionnel, à partir du moment où la mesure est contrôlée par le ministère public donc par l'autorité judiciaire.

Là où le bât blesse, c'est que les modalités de ce principe ont été considérablement étendues et que la garde à vue a été banalisée depuis 1993, au fil des modifications de la procédure pénale et des conditions de sa mise en oeuvre. Ainsi, le nombre des procédures pénales menées par un juge d'instruction a dramatiquement diminué (moins de 3% des décisions de justice) alors que le nombre d'officiers de police judiciaire ayant qualité à placer en garde à vue a doublé entre 1993 et 2009. Résultat: près de 800.000 gardes à vue en 2009, chiffre en augmentation constante depuis des années (moins de 350.000 en 2001!).

Or, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que "tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi". De même, elle prévoit que "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution".

C'est en effet sur le fondement du respect des droits de la défense que le Conseil sanctionne la garde à vue actuelle. Le recadrage est clair:

- les motifs de la garde à vue ne doivent plus être aussi larges qu'aujourd'hui, et seules les infractions présentant une certaine gravité devraient conduire à cette mesure

- un avocat devrait pouvoir assister à la garde à vue dès son commencement, ou alors il faudrait justifier de circonstances particulières dans le cas contraire

- la personne gardée à vue devrait être notifiée de son droit de garder le silence

Le Parlement a douze mois pour faire évoluer dans cette direction le régime de la garde à vue. A défaut, au 1er juillet 2011, les textes régissant la garde à vue seront abrogés et ce sera le gros bazar...

Mon petit doigt me dit que le gouvernement va devancer le législateur, alors rendez-vous très bientôt pour le projet de loi!

En attendant, on ne peut que louer le Parlement de 2008 qui a installé dans notre Droit cette question prioritaire de constitutionnalité absolument démocratique et protectrice de nos droits fondamentaux!

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